L'intelligence artificielle n'est plus une fiction. En à peine deux mois, ChatGPT a conquis 100 millions d'utilisateurs, contre 4.5 ans pour Facebook. Une adoption fulgurante qui marque la naissance d'une nouvelle ère, celle de l'IA généralisée. Derrière ce bond en avant se cache en réalité un long processus entamé il y a plusieurs décennies. Tout comme la mécanisation a révolutionné les chaînes de production industrielles au XXème siècle, en commençant par les cols bleus avant de s'étendre aux cols blancs, l'automatisation par l'IA poursuit aujourd'hui trois objectifs : améliorer les conditions de travail, la qualité de production et les gains opérationnels.

Mais au-delà des promesses d'optimisation, l'essor de l'IA généralisée soulève d'immenses défis techniques, sociétaux et éthiques. Cette disruption qui bouscule les parcours clients traditionnels ouvre la voie à l'hyper personnalisation, mais fait aussi peser de lourdes menaces sur l'emploi. Comme toute révolution technologique, son adoption responsable nécessitera une décennie d'efforts pour former les collaborateurs, définir un cadre éthique robuste et relever les défis de sécurité et de confidentialité des données. Dans cette mutation en cours, chacun, des entreprises aux travailleurs indépendants, devra apprivoiser cette formidable opportunité pour l'appliquer au mieux à son activité. Un chemin semé d'embûches, mais aussi de promesses pour qui saura dompter cette nouvelle technologie.

Le 27 février 2024 avait lieu le premier événement Smalt Talk chez Malt, réunissant des experts pour répondre à ces questions avec les invités suivants: Natacha Agafonov (Chef de projet freelance chez Moët Hennessy), Mathieu Caron (Global Consumer Care & Experience Director chez L'Oréal), Alexandra El Amari Cunin (Regional Sales Director chez Saleforce), Victor Kessler (General Manager chez ISDI), Claire Lebarz (Chief Data & AI Officer chez Malt) et Nicolas Marchais (Co-fondateur de m.ai club).

1. Définitions et terminologies-clés

Avant d'explorer plus en détail les multiples implications de l'intelligence artificielle générale sur les entreprises et les travailleurs, il convient de poser quelques définitions et concepts clés pour bien appréhender les différentes briques technologiques en jeu.

  • Intelligence Artificielle (IA) : Champ d'études visant à permettre à des machines d'imiter ou réaliser des tâches relevant normalement de l'intelligence humaine comme la vision, la reconnaissance vocale, la prise de décision ou la traduction. L'IA englobe à la fois des algorithmes simples et des systèmes complexes capables d'apprentissage et de raisonnement. L'IA existe dans notre quotidien avec par exemple l'utilisation de la traduction automatique ou des recommandations personnalisées poussées vers les utilisateurs basées sur leur historique d'achat ou leur comportement en ligne.

  • Apprentissage Automatique (Machine Learning) : Sous-catégorie de l'IA dédiée à la conception de systèmes capables d'apprendre à partir d'un retour humain à bases de données dites structurées. Les algorithmes de machine learning identifient des modèles dans les données pour faire des prédictions ou prendre des décisions. Selon Dan Miklovic, fondateur et principal analyste chez Lean Manufacturing Research LLC : « Le Machine Learning ne remplace pas les humains, il les aide à mieux travailler et à gagner en efficacité ». Le Machine Learning va donc aider des professionnels à prendre une décision, que ce soit dans le secteur de la santé pour un diagnostic ou en économie pour anticiper les tendances de marché par exemple.

  • Apprentissage Profond (Deep Learning) : Le Deep Learning est une section du Machine Learning basée sur des données non structurées. C'est un technique d'apprentissage automatique basée sur les réseaux de neurones artificiels profonds qui partage des similitudes avec le cerveau humain. Ces réseaux, composés de multiples couches hiérarchiques, permettent d'apprendre des caractéristiques complexes à partir d'énormes volumes de données brutes et ce sans l'assistance d'un humain. Particulièrement efficace pour la reconnaissance d'images et de paroles ou la création de contenus.

  • Modèles de fondation (Foundation Models) : Avancée récente, ces modèles sont entraînés massivement sur des données non structurées pour acquérir de vastes connaissances générales. Ils peuvent ensuite être affinés pour réaliser des tâches spécifiques sans ré-entraînement complet. GPT en est un exemple.

  • IA Générale (General AI): Objectif ultime, mais encore lointain, l'IA générale désignerait des systèmes dotés d'une intelligence globale et polyvalente équivalente à celle de l'humain. De quoi repousser les frontières de l'innovation, mais aussi soulever d'immenses défis.

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2. L'enjeux des données au coeur de la construction des parcours clients

Pour Parker Harris, co-fondateur de Salesforce, "une IA de qualité repose sur des données de qualité". Or, à l'heure actuelle 90% des données détenues par les entreprises sont dites non structurées. Une donnée non structurée est une donnée qui n'a pas été traitée, c'est-à-dire qu'elle existe dans différents formats tels que des photos, de l'audio, un PDF etc. À l'inverse, une donnée structurée ressemble plus à une base de données : c'est de l'information qui a été préparée et stockée afin d'être accessible. L'IA permet justement de transformer ces données non structurées en informations structurées et exploitables, soit en données structurées.

Quel est l'intérêt que cette donnée soit structurée ? Prenons quelques exemples pour se figurer cela :

  • Schneider Electric a couplé son service client avec de l'IA afin d'améliorer son délai de réponse pour ses clients. Comment ? En créant une base de requêtes récurrentes, ou FAQ, et en y ajoutant un bot permettant de rediriger les utilisateurs vers ces réponses pré-construites. Les tâches à "faible valeur ajoutée" sont ainsi automatisées, laissant le temps aux équipes clients de s'occuper des problèmes plus complexes nécessitant plus d'attention et donc de personnalisation. Le résultat ? Une amélioration de 30% de temps passé et une meilleure expérience client.

  • LVMH a fait face à une crise sans précédent dans sa verticale "champagne" suite au Covid-19. Avant 2020, une majorité des ventes passaient par des grossistes, mais après la crise sanitaire, la demande de ventes en direct a explosé. L'équipe client a donc dû mettre en place un CRM adapté avec énormément de données non structurées. Le résultat ? Un lien direct avec ses clients et une personnalisation sans précédent.

3. L'IA pour repenser l'expérience client

"L'IA, c'est pour les développeurs". Voilà quelque chose que nous pouvions encore entendre il y a peu de temps de cela. Or, l'application de l'IA au sein des entreprises commence à se démocratiser et est en phase de dépasser le pôle technique. Comment? En offrant deux grands champs d'application pour l'expérience client. En "front" avec les assistants conversationnels, chatbots et agents virtuels (déjà démocratisés depuis une dizaine d'années). Mais aussi en "back" avec l'automatisation, la personnalisation et la génération de contenus sur-mesure grâce à l'exploitation de données non structurées. Nous passons ainsi des premiers cas d'usage très productivistes, qui répondaient à une logique d'optimisation, à une expérience client très personnalisée avec un niveau de conseil élevé. Comme cité ci-dessus, nous parlons maintenant d'agent augmenté ou d'agent 2.0 pour répondre à ces demandes. L'agent automatise ses tâches répétitives pour ainsi se concentrer sur des tâches qui demandent de la personnalisation.

Mais c'est plus facile à dire qu'à faire. Car d'un point de vue technique, la réussite des projets AI au sein d'une entreprise relève surtout de la capacité de cette dernière d’être "customer centric" et donc de modéliser correctement les parcours clients et ainsi anticiper toutes les réponses possibles des consommateurs. Être "customer centric" c'est avant tout avoir une approche désilotée entre les différents départements d'une même entreprise. Et oui, l'AI n'est plus "juste le problème de l'équipe technique". À quoi cela va-t-il ressembler demain ? Tous les départements auront-ils la main mise sur l'IA au sein de leur service ? Nous le saurons très rapidement.

Voici quelques exemples de parcours clients augmentés actuels :

  • L'Oréal propose le service Modiface, soit un diagnostic digital de la peau grâce à 15 ans de recherches scientifiques réalisées par ses équipes. L'utilisateur peut partager une photo ou vidéo de sa peau pour avoir des recommandations de produit adaptées. Le résultat? Des années de recherches au service d'une expérience client augmentée.

4. Impacts sur l'emploi : menaces et opportunités

Si les craintes de destructions massives d'emplois liées à l'IA sont fortes, notament dues à tes titres de journaux tapageurs depuis un an, les experts tempèrent. En quelques mots : il reste difficile de se prononcer sur cette question pour le moment. L'introduction de l'IA en entreprise reste la continuité logique de la transformation digitale : certains métiers n'existent pas encore tandis que d'autres vont simplement évoluer. Car si l'adoption de l'IA va certes faire évoluer les métiers existants, cela passera avant tout par de la formation plutôt que des suppressions d'emplois. Comme avec l'arrivée chatbots il y a quelques années, les professionnels seront repositionnés sur des activités à plus forte valeur ajoutée au contact du client final. Salesforce prévoit d'ailleurs la création de 11 millions de nouveaux emplois d'ici 2028 grâce à l'IA, l'IA augmente l'humain et reste ainsi un assistant leur permettant de se concentrer sur l'hyper personnalisation et le conseil.

Et chez les freelances ? Du côté des freelances, la demande pour les compétences en IA a bondi de 250% en 2022 rien que chez Malt, preuve de la création de nouveaux métiers. Les compétences les plus recherchées en 2023 furent ChatGPT (30%), NLP (20%), Chatbot (18%) et Midjourney (5%). Et nous pouvons aussi observer que les freelances indiquant des compétences de GenAI sur leurs profils a bondi de +120%. Mais bien que la majorité des projets soit en tech à 34% et en data à 38%, il sera intéressant de suivre l'essor de l'IA au sein d'autres verticales métier dans les années à venir.

5. Des enjeux éthiques et juridiques primordiaux

La confiance et l'éthique restent une préoccupation majeure pour les entreprises, avec plus de 50% des professionnels interrogés encore méfiants envers l'IA. La sécurité des données et leur traitement sera donc le principal poste d'investissement dans les années à venir. Un cadre administratif avec l'AI Act passé en 2023 étant en construction au niveau européen, il est certain que les itérations ne manqueront pas.

Il faudra aussi prendre en compte et corriger les potentiels biais et discriminations générés par ces données issues d'humains. L'IA pourra d'ailleurs justement permettre de révéler et corriger ces biais. Les entreprises devront également composer avec un cadre juridique évolutif, à l'image de L'Oréal interdisant les images d'êtres humains générées par IA. Un gros effort d'éducation et de sensibilisation restera donc indispensable dans les années à venir.

Si l'intelligence artificielle bouleverse l'expérience client en exploitant des gisements de données jusqu'ici inexploités, son adoption soulève aussi de lourdes problématiques sociétales, juridiques et de confiance. Seule une intégration progressive et raisonnée, avec la formation des collaborateurs et un cadre éthique robuste, permettra de transformer durablement l'essai et de créer de la valeur durable plutôt que d'accumuler les risques.

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