Qu’est-ce qui a le plus changé dans l'industrie marketing ces dix dernières années ?
Hugues Rey : Énormément de choses. Mais ce qui est sûr, c'est qu'il y a une multiplication des fonctions. Être un marketeur d’il y a 20 ans et aujourd'hui, cela n’a rien à voir. Cela serait beaucoup trop simple de dire que c’est uniquement lié à la "digitalisation”. Mais ce qui est certain, c’est que si vous connectez emploi et digitalisation, il y a de plus en plus de "positions spécialisées” : il y a en effet aujourd’hui peu de positions, et cela à beaucoup de niveaux, où vous trouverez en une seule personne toutes les compétences dont vous avez besoin. C’est en cela que le freelancing est une bonne option : vous pouvez trouver ces personnes très spécialisées.
Mais, malgré cette multiplication des expertises et ce besoin de plus de “spécialistes”, on cherche encore de très bons "généralistes". Cela peut paraître paradoxal, mais les deux sont importants. Et, trouver des gens qui ont encore du recul, une vue holistique n'est pas simple non plus. Il faut des spécialistes ultra pointus et des généralistes qui ont une vision très large et qui ont la capacité de comprendre les spécialistes. Si vous combinez les deux, c'est vraiment ce qui a changé en réalité ces dix dernières années dans le monde du marketing.
En tant qu’agence marketing, quel est votre plus gros challenge aujourd'hui ?
H.R : Le challenge de l'agence, par définition, ce sont “les talents”. On fait un métier qui est "people” first. Si la technologie continue à évoluer, notre plus gros challenge en tant qu’agence, c'est d'avoir un staff qui réponde précisément à la demande et qui soit adapté en termes de taille à la réalité économique à laquelle nous faisons face. Ce staff doit être aussi adapté de façon évolutive aux besoins de nos clients. La deuxième chose, c'est de garder une qualité constante au niveau du staff malgré le turn-over, qui est bien sûr une réalité. Et la troisième, c'est de se demander : "dans quelle mesure sommes-nous capables de nous payer correctement ?". Car on ne peut être payé correctement que si on a les bons profils. À partir du moment où vous vendez du talent contre rémunération, c’est lié à la qualité de votre talent. Et on ne peut pas faire ces mauvais exercices qui sont de junioriser pour continuer à être rentable. C'est une mauvaise pratique par définition. Il faut senioriser et vendre plus cher. Car vendre cher, c'est générer de la valeur et la valeur se paye. Par moment, c'est difficile d'avoir un staff complet suffisamment senior, donc de nouveau, le freelancing est une option intéressante.
Avez-vous des difficultés à recruter ? Si oui, pourquoi ?
H.R : Oui, cela peut arriver, mais cela est dû à de multiples facteurs. Le travail sur “l’employeur branding" n'est jamais terminé. C'est la première chose, car il faut être honnête, nous pouvons toujours faire mieux. La deuxième, c'est qu'il y a, depuis la pandémie, une grande réflexion de la part des plus jeunes. Moi je n'ai pas de mal à dire qu'entre mes 25 et 35 ans, je suis allé travailler le samedi ou le dimanche. Alors certe aujourd'hui j'ai le poste que je voulais, mais est-ce que c'est vraiment la meilleure façon d'y arriver ? Vous me poseriez la question aujourd'hui, je ne serais pas sûr de la réponse, ce qui est un peu ironique.
Je suis désormais ravi d'avoir décidé de fermer mon agence physiquement tous les vendredis, alors que vous m'auriez dit cela il y a quatre ans, j'aurais cru à une blague. Cela change ma vie ainsi que celle de plein de gens.
Je dirais que le rapport au travail a évolué. Je vois que l'on veut plus de souplesse même si les gens sont quand même très contents de se revoir, de travailler ensemble et d'avoir de nouveaux challenges. Le travail au bureau n'est pas terminé, même si aujourd'hui faire une carrière de 35 ans dans la même entreprise n'est sans doute plus la seule et unique réalité envisageable.
Comment vous organisez-vous au sein de l'agence entre vos salariés et les freelances ?
H.R : On combine vraiment les deux - salariés/freelances - en fonction des besoins et des opportunités. Ce dont je suis sûr et ce pourquoi je crois au freelancing : c'est que si vous voulez garder vos équipes, vous devez les aider. Et le freelancing pour cela, est une formidable réponse car il permet de trouver quelqu’un plus vite et de devancer les problèmes.
Le freelancing apporte un vent de fraîcheur souvent aussi. Un réel œil extérieur. Les gens qui ne viennent pas avec tous leurs problèmes dans leur sac à dos, moi ça me va ! Un problème quand vous ne vivez pas avec depuis six mois, vous le regardez autrement en vous disant : "Je vais résoudre votre problème et de toute façon dans six mois je suis parti !". Il y a quand même quelque chose d'assez positif là-dedans. Il faut selon moi combiner les deux, je crois vraiment à l'aspect multiple.
Vous dites que quand vous n’avez pas telle ou telle expertise en interne, vous allez la chercher en freelance. Quelles sont les expertises que vous recherchez le plus ?
H.R : Cela peut être très varié et ce ne sont pas que des gens hyper spécialisés. Par exemple, cela peut être un senior en SEA qui nous manque pendant un moment. Il y a des métiers dans lesquels les experts ont très bien compris qu'il était plus intéressant d’être indépendant qu’employé. Ceci dit, un senior SEA en contrat, même si vous le payez très bien, il apprendra moins du fait d'être dans un seul et unique environnement, donc il y a un avantage à être freelance, tant pour l'entreprise qui bénéficiera d'expériences diverses que pour le freelance lui-même.
Selon vous, quand est-ce qu’un client doit choisir une agence plutôt qu’un freelance et vice versa ?
H.R : C’est une bonne question, et nous pourrions même nous demander pourquoi il existe toujours des agences finalement ! Quand vous faites appel à une agence, d'habitude vous faites appel à DES agences car une seule agence qui dispose de toutes les compétences n’existe pas. On peut prendre le plus grand groupe dans le plus gros des pays, il ne vous proposera pas tous les services. Vous êtes obligés de combiner plusieurs agences pour faire un job qui est difficile à organiser chez l'annonceur.
Maintenant, sur certaines approches spécifiques et sur certains territoires, vous pourriez vous dire : "Je vais prendre des freelances et gérer une partie de l'activité moi-même". Je citais le SEA et cela fonctionne. Si vous avez un très gros budget, vous pourriez constituer une équipe pour un très gros annonceur. J’ai connu des gens qui le faisaient en SEA ou en social, avec une équipe basée à Amsterdam pour couvrir l'ensemble de l'Europe. Et ça marche. Mais il faut quand même avoir cet esprit « indépendant ».
La phrase la plus intéressante que j'ai entendue ces douze derniers mois, qui date d’il y a 30 ans et qui vient du monde des agences, c'est : "Est-ce que tu veux une bonne réunion ou est-ce que tu veux une bonne campagne ?". Et si vous êtes un salarié dans une société, chez un annonceur, dans la plupart des cas, vous allez vous arranger pour avoir une bonne réunion car vous ne voulez pas de problèmes. Si vous êtes dans une bonne agence, vous n'avez pas peur de dire la vérité parce que vous êtes payé pour dire la vérité ! Vous souhaitez aller plus loin, challenger ce qui est proposé, avoir une vue plus critique, quelque part on vous paie pour ne pas être d'accord ! Dit autrement, pour être un bon technicien chez l'annonceur ou un bon technicien en agence, il ne faut pas se dire: "je risque ma place si…" mais plutôt…"je fais le boulot et….." c'est quand même très différent même si c'est le même travail.